Que savent les ombres ?

Chroniques vagabondes

Texte d’avance numéro 3

Correspondance

22 février 2018,

Vieil homme,

J’ai l’impression qu’aujourd’hui ma vie prend un tournant imprévu. À l’heure où je vous écris je me sens sonné, fiévreux, et chacun de mes mouvements me paraît d’une lenteur poussive. En rentrant chez moi ce midi, je me suis écroulé sur mon lit, happé par un lourd sommeil, qui je le pensais, aspirerait ma vie à tout jamais. Cinq heures de néant ont suivi. Je ne me rappelle rien, si ce n’est qu’il faisait noir et que j’avançais à tâtons. Ma requête est donc des plus essentielles : êtes-vous le diable, et si tel est le cas, qu’attendez-vous de moi ?

Comprenez-moi, je ne suis pas de nature à douter. Je crois que la vie ne permet les hésitations confuses que si l’on consent à mourir avant d’avoir existé. Pourtant, il me faut l’admettre, vous avez ce matin, ébranlé mes convictions. En vous observant, j’ai senti comme une torsion de tout mon être, et j’ai eu l’impression de glisser en dehors de la trajectoire qui m’était attribuée.

Vous rendiez-vous compte de la foule amalgamée derrière vous ce matin ? Non, de toute évidence. Entendiez-vous les soupirs exténués et les haussements de voix à votre encontre ? Bien-sûr que non. À quoi donc pensiez-vous ? Pourquoi n’étiez-vous pas, en cet instant-là, parmi nous ? Dans quelle dimension flottiez-vous ? Car il s’agissait bien là, d’un flottement surnaturel, vous protégeant de l’agressivité primitive que vous faisiez naître en nous.

Il m’a fallu savoir qui était la personne qui faisait perdre à chacun les précieuses minutes de cette belle matinée dominicale, comprimant en nos corps le ressort qui ferait exploser notre haine envers vous.

M’extirpant de la file d’attente qui désormais bouillonnait d’impatience, je fis un pas sur la gauche et lorgnai en votre direction. Vieil homme tranquille, vous étiez penché au dessus des pâtisseries et hésitiez.

Bien loin de tout le ressentiment que vous engendriez, vos yeux voguaient entre les éclairs aux chocolats, les tartelettes aux fraises et celles aux citrons. Votre corps entier semblait voué à cette seule et unique activité : choisir. Vos doigts pianotaient l’air avec enthousiasme, votre tête se balançait à droite et à gauche, comme absorbée par un match de ping-pong. Fascinée, même votre colonne vertébrale cherchait l’inclination optimale afin de ne rien laisser au hasard.

Je restai estomaqué devant un tel spectacle. Votre bonheur ne se trouvait pas dans la projection du moment où vous mangeriez cette pâtisserie, non, mais se révélait ÊTRE l’acte de choisir, et par là-même, l’indécision.

Je ne me suis pas tout de suite rendu compte que je vous suivais, regagnant la rue, muni de votre pâtisserie. Ma tête avait déjà commencé à se remplir d’une atmosphère lourde et nébuleuse. Bientôt, j’ignorai totalement où nous étions. Autour de nous, le monde était flou, et je ne pouvais détourner le regard de votre personne. Mes pieds avançaient vers vous sans que je ne les y autorise, mon corps suivait des ordres formulés par une force extérieure. Je me suis arrêté lorsque vous avez poussé la grande porte en bois du 9B boulevard Contresens, mon cœur battant la chamade, tambourinant jusque dans mes tempes.

Totalement désorienté, je cherche en vain à reprendre mes esprits, mais je crains le pire. Quelle est cette dimension parallèle dans laquelle vous m’avez fait plonger malgré moi ? Qui êtes-vous et pourquoi moi ?

Répondez-moi, je vous en prie. Remettez votre lettre à Laura de la boulangerie. Digne de confiance, elle ne vous lira pas.

Avec effroi et respect, J.

27 février 2018

Garçon,

À défaut d’être le diable, il se trouve, ne t’en déplaise, que je suis écrivain. De ce fait je suis habitué à recevoir des lettres via mon éditeur, de lecteurs la plupart du temps émus ou admiratifs, quelquefois mécontents ou acerbes mais jamais aucune comme la tienne.
L’ayant lue, puis relue et ne sachant quoi en penser, je l’ai roulée en boule et jetée au loin dans la corbeille à papier…
Mais elle n’arrivait pas à sortir de ma tête, alors en désespoir de cause je suis allé la reprendre. Ne la trouvant pas, j’ai vidé la corbeille sur le plancher, mais à l’évidence, elle avait disparu, ce qui ne manqua pas de m’irriter.
Heureusement il se trouve que j’ai une bonne mémoire et j’ai pu reconstituer sans trop de difficulté son contenu.
Mais comment interpréter un courrier aussi saugrenu ?
Pour tenter d’y arriver, j’ai pensé qu’il fallait avant tout essayer de te comprendre. Au travers et entre les lignes, t’apercevoir, puis te voir.
Devenir ainsi ton miroir.
Par pur altruisme je te livre donc ma vision des choses :
Ce dimanche matin, dans cette file d’attente, ce que tu as perçu ou aperçu s’apparentait probablement davantage à une hallucination visuelle et auditive qu’à la réalité factuelle. Ce flottement surnaturel auquel tu fais allusion, n’était pas le mien, mais plutôt celui de ton être intérieur… As-tu subitement vu s’effondrer un bouclier qui te protégeait du doute envers ton apparence ou ton identité ?
La vraie question, garçon, n’était-elle pas tout bonnement : « qui suis-je ? » au lieu de : « qui êtes- vous ? »
Y aurait-il dans ta vie un événement « endormi » par ta conscience et qui, à ton insu, aurait fait surface ? Le connaître te permettrait, le cas échéant, de le dépouiller de «  son agressivité primitive », mais ce ne sont là que suppositions oiseuses.
Tu fais allusion au fait de choisir. Cela peut s’avérer douloureux si on l’assimile à une perte, mais pourquoi ne pas le considérer avant tout comme un luxe, une chance, un catalyseur d’énergie, un facteur de renaissance et déjà la promesse de l’envol ; en cela il est un moment privilégié, le fruit de notre liberté, qui peut être en lui-même une source de grand plaisir. Si cela est valable pour un choix aussi anodin que celui d’une pâtisserie, il l’est d’autant plus pour des choix plus conséquents !
Pas de panique, aucune trajectoire ne t’a été attribuée de façon irrémédiable si tu acceptes de privilégier une ou plusieurs directions en connaissance de cause et confiance en toi.
Autre chose : rien n’est jamais définitif, il suffit pour s’en convaincre de faire des ronds dans l’eau … et puis, que diable, nous ne sommes que des oiseaux de passage, pas vrai ?
Garde longtemps ton innocence initiale, l’air de rien elle a la légèreté des bulles et la gaîté du rire fou…
Je vois clairement que tu possèdes un atout majeur dont j’ignore si tu es conscient. Il s’agit de ton imagination riche et débordante. Fais-en une fidèle monture avec laquelle aller toujours plus loin !
Si cela peut te rassurer je n’attends rien de toi ….même pas une réponse; ce n’est pas de l’indifférence mais du respect, tu ne me connais pas et tu ne me dois rien.
Sois libre de ta décision ; cependant si tu m’écris je te lirais avec attention et m’efforcerai de te comprendre et de te répondre.
Julien Donge, un drôle de vieil oiseau pacifique .

29 novembre 2018 – 20 janvier 2019,

Bonsoir,

Plus de neuf mois se sont écoulés depuis notre rencontre – unilatérale j’en conviens – et j’ignore si vous vous souvenez de moi. Voilà bientôt un an, je vous écrivais, bouleversé par une vision terrible qui m’emmena en dehors de moi. S’en suivirent les jours les plus sombres de mon existence. Mû par l’effroi que suscite une telle expérience, je me cloîtrai chez moi, ne quittant mon logement qu’au prix de douloureux efforts, dans l’objectif unique de me traîner à la boulangerie, où m’attendait potentiellement votre réponse à mes questionnements.

Monsieur Donge, comprenez-bien que nous sommes liés par une force dont je n’ai pas encore découvert l’origine. Et s’il ne tenait qu’à ma pure folie – qu’à la suite de votre lettre j’envisageai avec le plus grand sérieux – je n’aurai pas pris la peine de vous écrire à nouveau. Mais il me faut désormais en comprendre davantage, et vous êtes à ce jour, la seule personne à pouvoir m’orienter. Mais laissez-moi tout d’abord vous exposer ce que je sais.

Les deux journées qui suivirent le dimanche 22 février, ne furent pour moi que ténèbres. Je les passai dans un noir absolu, reclus dans les sombres profondeurs de mon âme troublée, dont mes paupières closes refusaient toute échappée. Ce n’est qu’au moyen de violentes douleurs, que mon corps horrifié réussit à m’extirper des griffes de Dame Morphée Maléfique. Ainsi, me réveillai-je sonné, déshydraté et affaibli au petit matin du mercredi 25 février. Il me fut difficile de reprendre mes esprits tant mon cerveau était engourdi et j’eus tout le mal du monde à saisir les signaux que mon corps meurtri me lançait. Mais je finis par comprendre. La faim vrillait mes viscères et la soif me tenaillait.

En ce matin hivernal encore plongé dans la pénombre, je dévalisai donc mon frigo tel un sanglier repérant un buffet de victuailles, engloutissant tout ce qui me passait par la main, m’abreuvant jusqu’à écœurement. Alors, affalé au sol au milieu des détritus je me mis à pleurer. De lourdes larmes déversèrent mon désarroi sur le chaos cinglant de ma vie sans que je ne parvienne à les contrôler. Ce n’est qu’après plusieurs minutes de désolation, lorsque par lassitude, les larmes finirent par tarir, que je repris petit à petit consistance. Amorphe, je guettai les premiers rayons du soleil que j’accueillis comme un rédempteur sur le champ de bataille de mon cœur.

Enfin, je réussis à me relever, pris une douche et m’habillai chaudement. Puis je nettoyai la cuisine, aérai l’appartement et me fit un café. Après quoi, je me sentis de nouveau prêt à faire face au monde. Remisant les événements passés dans le tiroir des cauchemars révolus, je sortis.

Acceptez cet exposé avec humilité, monsieur Donge. Il ne s’agit guère de futiles anecdotes mais chaque élément est important pour appréhender le problème dans toute son étendue.

L’immeuble dans lequel je vis est en fait une ancienne maison bourgeoise, ingénieusement réhabilitée, et dont j’occupe l’un des appartements du dernier étage. Mon voisinage courtois, est composé d’une vieille dame, d’un couple hébergeant deux jeunes enfants, d’un concierge solitaire et d’une jeune étudiante en philosophie. Prenez-note de ce schéma dès à présent, vous aurez besoin d’y revenir par la suite :

Je ne sortis pas bien loin ce matin. À peine eus-je franchi le seuil de la porte d’entrée que mon crâne s’emplit d’un fluide chaud et lourd. Comme alors, lorsque je vous écrivis, mon corps se fit pesant et je ne parvins plus à distinguer mes mouvements. À nouveau, il me sembla qu’une force intérieure me poussait à l’extérieur de moi. Je reculai et fermai la porte. Seul, dans le hall d’entrée, je tentai de me ressaisir. C’est alors que je repensai à vous et à la lettre que, peut-être, vous m’aviez laissé. Bien que je ne vous assimilai plus au diable, j’avais l’absolue certitude que cet état second dans lequel je plongeais pour la deuxième fois, avait été initialement déclenché par vous, comme si par votre présence, vous aviez ouvert sous mes pieds, une brèche d’un autre temps, dans laquelle je m’enfonçais à mon insu, tout en m’accrochant, aveugle, aux repères impalpables d’un monde révolu. Je suis toujours fermement convaincu de votre rôle, probablement inconscient, dans mon égarement.

Divaguant sur les raisons de mon mal-être, je laissai s’écouler les minutes, reprenant doucement mon souffle, récupérant les sensations de mes doigts et mes muscles engourdis. Sans toutefois retrouver toutes mes fonctions, je me sentis mieux. Il me fallait donc retenter la sortie, ne serait-ce que pour me munir de votre réponse à ma lettre. Mais à cette idée, mon corps, bien loin d’obtempérer, se figea. Serrant les dents, je tentai de le raisonner, conscient qu’il ne fallait pas laisser s’installer la phobie du dehors.

C’est alors que le malaise m’enveloppa de nouveau, bien plus largement et plus violemment que précédemment. J’eus la sensation écrasante d’un poids mort sur mes épaules et sentis mon échine ployer sous l’invisible charge. Mes membres s’alourdirent à l’extrême et ma respiration se saccada brutalement. Il me fallut faire un effort considérable pour me redresser. Chaque parcelle de mon être semblait avoir été propulsée dans une atmosphère à l’épaisseur de mélasse, à la gravité amplifiée. Il me sembla que mes paupières se fermaient, mais je constatai horrifié que mes yeux étaient ouverts. L’envie de hurler me brûlait la poitrine mais aucun son ne réussit à transpercer l’épaisseur sirupeuse de ce qui me servait d’air.

C’est alors que j’aperçus ma vieille voisine. Munie de son cabas, elle me fit un signe de tête, que je lui rendis de mon mieux. Elle n’eut pas l’air de s’apercevoir de mon combat interne, ni même de se demander ce que je faisais là, mal adossé au battant de la grande porte en bois, tel une plante délaissée dans le hall sombre d’un hôtel.

Je crus mourir lorsque tout près de moi, elle ouvrit l’immense porte et se glissa dans l’ouverture. Il m’eut semblé alors, que ma fin était proche. Et pourtant, jamais je n’avais été aussi près qu’à ce moment crucial de l’indicible extase qui s’empara de moi. Car la porte se refermant avec un bruit épouvantable, souffla comme poussière au vent, de sa lourde résonance, le mal qui m’aspirait. Le contraste fut tel que ma tête, que j’avais cherché à redresser avec force sans y parvenir jusque-là, choqua brutalement la porte d’entrée, au niveau de l’occiput. Mes maux avaient disparus sans laisser la moindre empreinte. Le soulagement, non, un irrépressible sentiment d’euphorie m’envahit et je poussai par deux fois un hurlement dont j’ignorai la signification. J’étais subitement, incroyablement, incompréhensiblement revenu à mon état normal. Soudainement délesté, je pouvais respirer. C’était comme si ma voisine avait emporté avec elle la couleuvre volatile qui s’était emparée de moi. Le charme était rompu, le mauvais sort défait.

Vous m’écrivîtes le vendredi 27 février. Je récupérai votre lettre le lendemain. Je passai donc trois journées d’attente fébrile, emmuré dans mon appartement, ne sortant de chez moi que dans l’espoir d’une réponse de votre part. Chaque sortie se révéla être un véritable exploit. Et chacune m’apporta son lot d’informations que je regroupai, analysai et vérifiai. Je pus ainsi émettre plusieurs hypothèses concernant les circonstances de mes malaises : l’une d’elles se révéla juste, et à ce jour n’a pas été démentie :

Je ne suis tout à fait moi-même que lorsque je me retrouve seul, mais mes malaises sont gradués de la façon suivante :

Lorsque je me retrouve seul avec une personne, mon mal-être est d’autant plus important que cette personne a un âge distant du mien,

Lorsque je suis entouré de plusieurs personnes, mon mal-être est d’autant plus faible que la moyenne des âges des sujets présents – moi excepté – est proche du mien,

Lorsque la moyenne d’âge des personnes m’entourant est supérieure à mon âge, mes symptômes sont, de façon plus ou moins intense, tels que je vous les ai décrits jusqu’à présent.

Par contre, lorsque la moyenne d’âge est plus faible, je sens mon cœur s’accélérer et suis soudainement pris d’hystérie. Mes membres semblent se mouvoir stupidement sans aucun but et de façon incontrôlable. Je ne suis ni précis dans mes gestes, ni alerte dans mes décisions et il semble que les sujets alors présents me prennent pour un ivrogne.

Deux faits certains complètent cette hypothèse des âges, la première étant que les murs, portes et fenêtres closes sont de bon isolants entre moi et le monde, la deuxième, que plus le temps passe, plus j’apprivoise ces sensations pénibles, et moins j’angoisse.

Il me fallut presque trois mois pour en arriver à ces conclusions. Entre-temps, j’avais récupéré et lu votre lettre, consulté un médecin qui me prescrit des anxiolytiques, contacté un psychiatre, qui m’ordonna des anti-psychotiques. Puisque je n’en retirai aucun bénéfice, mais une excessive somnolence, je les arrêtai brutalement contre avis médical et décidai de quitter mon boulot. Saisissez-donc l’urgence qui est mienne : il me faut comprendre ce qu’il m’arrive et inverser rapidement cet obscur sortilège. Je ne pourrai tenir longtemps en me coupant du monde, je crois donc que le temps m’est compté avant que je ne devienne réellement fou.

Mes multiples rencontres avec mon voisinage sont véritablement celles qui me permirent d’émettre l’hypothèse des âges. Ainsi, pour illustrer ce qui est dit plus haut, sachez qu’il n’y a pas pire trouble que lorsque je rencontre ma vieille voisine du premier, que je suis surexcité à l’approche du père et de son tout petit, mais redevient quasiment moi lorsque le concierge apparaît. Je vous épargne la liste des compositions que j’ai pu expérimenter. Si cela vous amuse, ou si vous souhaitez éprouver la logique de mes constats, libre à vous de faire les calculs correspondants.

À présent que vous connaissez mon parcours, revenons-en à vous. Car sachez que votre lettre m’apporta elle aussi son lot d’émotions et de questionnements :

La première chose qui me frappa, n’est pas le contenu de votre lettre, mais plutôt son auteur. Car votre nom, Monsieur Donge, ne m’est pas inconnu. Il a même littéralement bercé mon enfance et toute mon adolescence, et restera toujours intimement lié à des souvenirs qui me réchauffent le cœur. Car ma mère était une très grande admiratrice de vos œuvres. Elle dévorait vos livres avec l’émerveillement d’un enfant, riant aux larmes comme jamais il ne lui est arrivé dans la vie réelle. Vos livres ont été relus tant de fois que tous ont finis démantibulés, écorchés comme des reliques d’après-guerre. Et j’aime à penser qu’ils reposent encore auprès de ma mère, comme nous les y avons déposés le jour de son enterrement.

« Si je devais choisir entre vivre heureux ou mourir sans souffrance, je me délecterais de pouvoir faire le choix. »

Telle est l’épitaphe qu’elle choisit pour sa tombe, la formule ne devrait pas vous être étrangère.

Le deuxième élément clé de votre lettre me trouble encore aujourd’hui. Il ne retint pourtant pas mon attention de suite, et ne m’a été révélé que tardivement, lorsque j’ai commencé à vous écrire cette lettre. Les sorties extérieures me fatiguant énormément, je ne fais qu’une expédition tous les deux jours. C’est généralement le temps qu’il me faut pour me restaurer complètement.

J’ai commencé cette lettre il y a plus d’un mois. Je l’ai débutée un soir d’hiver pluvieux, épuisé par mes sorties de ravitaillement. Je n’eus pas la force de la terminer le soir même. Le lendemain matin, je me remis à l’écriture ou plutôt, décidai de m’y remettre. Mais à la vue de ma lettre, je fus parcouru de frissons : reposant à l’endroit exact où je l’avais laissée, celle-ci avait vieillie, était jaunie, parcourue de nervures et semblait dater d’il y a dix-mille ans. Lorsque que je tentai de la prendre, elle s’effrita dans mes mains et en quelques minutes disparut entièrement.

Le choc me pétrifia et je ne tentai plus de vous écrire avant plusieurs jours. Mais l’événement se répéta. En douze heures, ma nouvelle lettre disparut. C’est alors que le cœur battant, je me remémorai ce que vous m’aviez écrit, et le fait que vous ayez perdu ma précédente lettre dans votre corbeille à papier. Des sueurs froides m’envahirent alors que je me mis à retourner l’appartement pour trouver votre lettre. Elle n’y était plus.

Me fallait-il vous envoyer la lettre dans les douze heures afin que vous puissiez la lire ? Certainement. Et si vous ne la lisiez pas dans les temps ? Comment pourrai-je être sûr de votre bonne réception ? Que faire alors ? Vous envoyer un e-mail m’apparut comme une solution. Mais alors que dans votre formulaire de contact, je commençai à taper sur le clavier, les lettres disparaissaient au fur et à mesure que je vous écrivais. Quel est donc ce sort qui nous relie ? Et pourquoi ?

Je me creusai la tête des nuits entières, sans parvenir à d’autres solutions que celle de vous écrire en un minimum de temps et de glisser ma lettre sous votre porte, comme la première fois. Pour ne pas perdre une minute, je passai des jours entiers à apprendre par cœur ce que j’allais vous écrire. Le jour est venu et c’est avec une grande excitation que je finis ces lignes.

J’espère de tout cœur que vous aurez le temps de la lire, et surtout en entier.

Cordialement, J.

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